Le soft power chinois en question
Au XXIème siècle, la Chine devient le rival stratégique des États-Unis. La République Populaire de Chine a déjoué les prévisions (notamment celles du National Intelligence Council) du début du millénaire en rattrapant toutes les économies européennes, en dépassant le Japon et en s’installant au second rang des puissances économiques dès 2012 (alors que les pronostics prévoyaient ce résultat en 2020). Seulement, le gouvernement chinois de Xi Jinping a conscience que l’arme économique bien qu’indispensable n’est pas suffisante afin de déployer la puissance chinoise dans le monde entier. Le défi à relever est colossale : concurrencer l’hégémonie américaine sur le globe. Pour cela, la Chine doit faire face à ses carences internes en matière de respect de l’environnement, de lutte contre les inégalités et contre la corruption. En outre, elle développe et modernise à grande vitesse son arsenal militaire (second budget militaire, certes loin derrière les États-Unis). La Chine s’est récemment lancée dans un combat encore plus âpre et dans lequel elle a beaucoup de retard : la bataille du soft power.
Le soft power est nécessaire à la Chine pour faire accepter le déploiement de sa puissance dans le monde et éviter le développement d’un sentiment antichinois (pendant de l’antiaméricanisme). Sa croissance accélérée et son réarmement suscitent des craintes dans son environnement régional. Pour les apaiser, Pékin veut légitimer sa puissance ascendante. Les dirigeants chinois ont misé sur le soft power pour atteindre cet objectif en créant, en décembre 2012, la Chinese Public Diplomacy Association (CPDA). Composée d’anciens diplomates, de businessmen et de hauts fonctionnaires, son rôle consiste à améliorer l’image de la Chine et à diffuser sa culture dans le monde.
Le soft power chinois s’appuie tout d’abord sur les médias, étroitement surveillés par le ministère chinois de la Censure. Il s’agit du réseau de chaînes de télévision de la China Central Television (CCTV) qui dispose de vingt-trois chaînes en plusieurs langues (dont anglais, français, espagnol, russe, arabe), de la Radio Chine Internationale et de l’agence de presse à dimension mondiale Xinhua (Agence Chine Nouvelle) qui émet désormais en huit langues.
Les leaders chinois semblent surtout faire le pari du cinéma. En effet, en 2013, plus de 5 000 écrans de cinéma ont été construits (14 par jour) dans plus de 900 multiplexes au sein du désormais second marché du cinéma mondial : la Chine. Wanda, le géant chinois du BTP, a racheté la société américaine AMC, propriétaire de 346 multiplexes en Amérique du Nord. Wanda s’apprête à bâtir la « Cité du Cinéma » dans la ville de Qingdao. Ce projet prévoit la construction du plus grand studio du monde (environ 10 000 m2) afin de tourner à terme 100 films par an.
La Chine utilise également sa langue comme un instrument de rayonnement mondial. Son fer de lance s’appelle l’Institut Confucius. Depuis novembre 2004 et la création du premier Institut Confucius (IC) à Séoul en Corée du Sud, la RPC a développé près de quatre cents Instituts Confucius à travers le monde dont plus de soixante-dix rien qu’aux États-Unis.
Pour compléter la palette du soft power chinois, on pourrait citer la diaspora chinoise, l’influence du made in China, la gastronomie chinoise réputée, l’aide humanitaire (notamment en Afrique), sa présence dans les institutions internationales (surtout son siège au Conseil de Sécurité de l’ONU), l’organisation de grands événements (Jeux Olympiques de Pékin en 2008, l’Exposition universelle à Shanghai en 2010), le développement du tourisme en Chine et l’attractivité des universités chinoises.
Actuellement, la visite du Président américain Barack Obama en Asie préfigure une bataille du Pacifique États-Unis/Chine sur le terrain de la puissance douce. La stratégie américaine du pivot passe aussi par le soft power. Les États-Unis disposent en Asie de bases militaires mais aussi de bureaux de la Motion Picture Association, le cartel défendant les intérêts du cinéma américain à l’étranger. En somme, nous assistons à une transition majeure dans la politique étrangère chinoise. Il s’agit du passage de la « diplomatie du gant de velours » à une affirmation de la puissance chinoise, en cours de légitimation par un soft power grandissant. Pour l’instant, le rêve chinois évoqué par Xi Jinping lors de son investiture est avant tout national alors que le rêve américain se veut universel. La Chine continue de grandir mais saura-t-elle séduire ? Pourra-t-elle gagner la bataille mondiale du soft power ?